Permission de sortie et explications...
Ce fut ainsi que je pus passer une bonne journée en compagnie de ma belle-soeur Lili, qui était venue de Besançon pour me rendre visite. Ma permission de sortie indiquait d'abord que je devais rentrer à 14 heures ! C'était trop court. Je demandai une prolongation. On voulut bien me l'accorder jusqu'à 16 heures ! Cette fois, je trouvai la chose ridicule, et je pris le parti de ne pas tenir compte de l'heure officielle de rentrée et de m'accorder tout le temps de liberté qui serait nécessaire pour rester en compagnie de Lili, que je ne voulais pas lâcher comme cela, subitement, dans cette grande ville. Nous allâmes dîner, puis au théâtre, et je la ramenai à son hôtel.
Le lendemain matin, comme je m'y attendais, je reçus une algarade du chef de service. C'était un civil, déjà âgé, probablement un officier en retraite à qui on avait donné ce poste pour lui procurer des avantages.
- Sergent, me dit-il sur un ton bien militaire, vous êtes l'objet d'un blâme pour votre conduite indisciplinée. Vous, qui à ce que je vois, êtes déjà âgé, et gradé, vous devez le bon exemple aux autres ; et je suis navré d'être obligé d'avoir à vous rappeler vos devoirs militaires.
- Monsieur, dis-je, je ne suis pas militaire.
- Ah ! tiens ?
- Non, Monsieur, je suis soldat, guerrier. Je suis R.A.T. de la classe 1892 ; j'ai pris volontairement du service actif dans un régiment de l'Est ; et j'ai déjà été blessé une fois et suis retourné au front volontairement, non guéri. Je ne le suis d'ailleurs pas encore. Cependant j'ai demandé à être versé aux convalescents et ai l'intention de retourner, toujours volontairement, au front. Aussi, Monsieur, je trouve profondément ridicule que, dans ces conditions, on ne m'accorde pour sortir en ville que quelques heures octroyées au compte-gouttes. Je ne suis pas en âge ni dans une situation m'obligeant à accepter pareille brimade. J'ai pris la permission qui m'était nécessaire, sans plus.
- Et c'est justement ce que je vous reproche !
- Je le sais bien ; mais je ne m'en excuse pas. J'ai pris cette liberté volontairement, comme je vais prendre, immédiatement, la résolution de quitter cet hôpital pour retourner au front, toujours aussi volontairement. Veuillez, s'il vous plaît, me porter sortant sur ma demande.
- Bien. Dans ces conditions, c'est différent. Vous sortirez tout à l'heure. Pour quel endroit, votre permission de convalescence ?
- Pour Besançon.
- Vous y avez un répondant ?
- Je n'en ai pas besoin.
- Ah ! et pourquoi, s'il vous plaît ?
- Parce que je suis sous-officier à solde mensuelle.
- Décidément, Sergent, vous êtes invulnérable ! Eh ! bien, c'est entendu.
- Bien. Maintenant, je puis vous dire que je vais passer ma permission auprès de mon beau-frère, le Capitaine SOHET du 18e chasseur à pied.
- Ah ! très bien, mon ami, très bien. Bonne chance !
Et voilà comment je fus libéré de l'Hôtel-Dieu de Lyon. Je passai toute cette dernière journée en ville et pris un train de nuit qui m'amena à Besançon dans la matinée du lendemain. Là, je descendis au même hôtel que Lili qui m'avait offert l'hospitalité pour ces 7 jours de permission réglementaire après guérison de blessure.
Ce fut un séjour agréable, bien qu'on fût en hiver, qu'il y eût beaucoup de neige et de glace. Nous allâmes rendre visite à Henri, au Val d'Ahon ; il revint avec nous à Besançon où nous passâmes trois jours ensemble. C'est là que j'achetai les quelques bijoux que je destinais à ma Manette et à ma Suzette pour tous les cas : si je revenais vivant de la guerre, j'aurais le plaisir de les leur offrir moi-même lors de notre réunion ; si je ne revenais pas, Lili était chargée de les leur remettre avec mes dernières pensées.
Puis, je repris le chemin de Saint-Nazaire.
Retour au dépôt jusqu'au début 1915...
Source : Georges HUBIN - Ma vie - Mes campagnes - Ma guerre - Tome V, avec l'autorisation de Michel EL BAZE