Examen du toubib
Là, je n'ai pas pu dormir de la nuit : j'avais trop mal, et puis, vers le matin, il y eut une arrivée incessante de blessés qui venaient du bois. Engagé dès son arrivée en tranchée, notre Bataillon eut à subir un terrible assaut. La moitié de la quatrième Compagnie était prisonnière, l'autre moitié presque anéantie, le Capitaine PÉRONNE blessé encore une fois. Notre deuxième avait beaucoup souffert aussi, mais n'avait pas eu de prisonniers. Les deux autres Compagnies étaient, à ce moment-là, encore aux prises avec les assaillants.
Le docteur n'arrêtait pas un moment de panser, de panser, que je te panse !
Les blessés frais ouverts passaient les premiers, bien entendu. Beaucoup s'en allaient à l'arrière à pied, après un premier pansement, avec une étiquette qui pendait à un bouton de leur capote. Ils se rendaient à Vienne-la-Ville au centre médical d'évacuation. Il y avait là le service de triage qui dirigeait les évacués sur telle ou telle gare de chemin de fer pas trop éloignée, où on les conduisait par automobiles d'ambulance.
Je sus tout cela quelques heures après, quand le docteur s'occupa de moi. Après m'avoir bien examiné, il voulut me sortir de la saleté où j'étais affalé ; mais comme je ne pouvais plus mettre le pied à terre, il me prit sur son dos et me monta ainsi au premier étage où le sol était recouvert de paille fraîche plus attrayante. Là, pour se détendre un peu, il s'entretint avec moi, disant son dégoût de la guerre, de certains officiers qui, me disait-il, font des bassesses ignobles pour se faire évacuer sans motif ou se faire admettre dans les Etats-majors. Il ne les aimait pas, les Etats-majors, où régnait une noce perpétuelle et on sentait que son dégoût était sincère.
- Quant à toi, me dit-il en terminant, je vais t'évacuer dans l'intérieur. Tu n'as rien à faire par ici pour le moment. Le combat d'aujourd'hui n'est qu'un accident; toute l'armée va être relevée et va aller au grand repos pour un ou deux mois, dans les alentours de Sainte-Menehould, pour se refaire. Alors, tu seras beaucoup mieux dans un hôpital de l'intérieur. Tu guériras plus vite et mieux. Les autos vont venir vers quatre heures : tu seras un des premiers à partir. Si je ne te vois plus : au revoir, mon vieux, et bonne chance !
Source : Georges HUBIN - Ma vie - Mes campagnes - Ma guerre - Tome V, avec l'autorisation de Michel EL BAZE