Georges HUBIN : 26 août 1914 - Retraite (suite)
Le 26 Août, cette fois, c'est la retraite franche et profonde.
Nous quittons les villages belges dans la nuit pour descendre les collines frontières, vers la vallée de la Chiers. Au petit jour, nous traversons Chauveney-Saint-Hubert, tout endormi encore, traversons Chiers, le chemin de fer de Charleville et nous continuons notre route en direction de Nepvant.
Nous marchons, puis, tout d'un coup, arrêt brusque : N'y allez pas ; les Allemands y sont ! Bon. Demi-tour, direction de Baalon, village situé un peu avant Stenay.
Diable, ça se corse !
Si nous reculons jusqu'à la vallée de la Meuse, ça devient diablement mauvais ! Et nous comprenions de moins en moins pourquoi il nous fallait abandonner sans combat les magnifiques défenses naturelles constituées par des collines boisées des deux rives de la Chiers. Mais nous n'avions pas à comprendre: il nous suffisait de marcher.
Nous dépassons Baalon et la tête de notre régiment vient s'arrêter aux premières maisons de Stenay.
Halte générale.
On se repose comme on peut sur le talus qui borde la route, mais on ne forme pas les faisceaux. Nous avons passé là deux heures à voir défiler continuellement, sur nos pieds presque, toute une armée morne, silencieuse, les dos voûtés, les têtes basses, les pieds qui se traînaient, les genoux qui ployaient. Ah ! le triste spectacle qu'une armée qui bat en retraite sans savoir pourquoi ! Et tous ces régiments, de toutes armes, qui passaient là, étaient intacts, en ordre parfait, le matériel impeccable !
Après, évidemment, nous avons compris, quand nous avons su comment les choses s'étaient passées ailleurs.
A la suite du désastre de nos armées à Charleroi et à Maubeuge, le gros de l'armée allemande, quelque chose comme huit cent mille hommes se déversait sur le Nord de la France, et une bonne partie remontait le cours de la Meuse, sur sa rive gauche, c'est-à-dire vers l'intérieur de la France.
A l'heure où nous attendions on ne savait quoi, le 26 Août au matin, à Stenay, les Allemands avaient dépassé Sedan en masse et continuait à remonter la rive gauche de la Meuse. Par conséquent, nous qui étions en Belgique, sur la rive droite de la Chiers, nous étions obligés, si nous ne voulions pas nous faire anéantir par des forces bien supérieures en nombre, de revenir sur la Meuse et même de la traverser. Faute de quoi, nous aurions été pris comme dans une souricière.
Dès que l'interminable colonne fut écoulée, nous prîmes la suite et traversâmes à notre tour tout Stenay, la Meuse et le canal latéral. Un quart d'heure après le passage des derniers échelons de notre régiment, les ponts sautaient ; le génie n'avait plus attendu que nous pour détruire ce passage important. Mais cela n'avait plus beaucoup d'importance pour les Allemands, puisqu'ils étaient déjà sur la rive gauche, celle que nous venions d'atteindre, nous aussi, et qu'ils pouvaient utiliser, au fur et à mesure de leur avance, le chemin de fer qui relie Verdun à Sedan, en passant, entr'autres, à Stenay. Mais, un pont détruit, ça fait toujours bien en guerre.
Cette journée du 26 fut pour nous une bonne journée de repos que nous passâmes dans un gros village de culture, à cinq ou six kilomètres de la Meuse, et nous pûmes quitter sérieusement le harnachement qui nous pesait au corps. Quelles délices d'être enfin libre de ses mouvements, d'aller, venir, causer, manger, à sa guise, sans contrainte, alors que depuis cinq jours nous ne savions plus ce que c'était: cinq jours seulement, qui nous avaient duré autant que cinq semaines !
Je reçus là les dernières nouvelles de Longwy, datées du 22 Août, le jour de l'offensive générale ! Je savais tout de même que, jusqu'à ce jour-là, tout allait bien à la maison. Les nouvelles effarantes reçues par les autres camarades ne concernaient pas Longwy, mais les localités ouvertes : Longuyon, Villers-la-montagne, Haucourt, etc... Quand allait-on avoir des nouvelles, maintenant ? Et comment ? Car il ne faisait aucun doute pour nous que toute cette région: Longuyon, Longwy, Montmédy, était occupée par les Allemands. Qu'y ont-ils fait ? Comment se sont-ils comportés ? Mystère pour nous tous; et nous ne pouvions rien faire qu'attendre et suivre notre propre sort que personne ne pouvait même imaginer.
Ce jour-là, je rencontrai Pierre MAJERY de Longwy, sergent au 120e R.I. Echange de nouvelles. Il en avait encore moins que moi ; lui ai montré la carte que je venais de recevoir.
Source : Georges HUBIN - Ma vie - Mes campagnes - Ma guerre - Tome V, avec l'autorisation de Michel EL BAZE