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Le blog du 147e RI
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1 juillet 2009

Le Médecin-chef de l'Hôtel Dieu de Lyon

Le lendemain, à l'heure de la visite, notre salle fut littéralement envahie par un fort groupe de docteurs en blouses blanches impeccables, suivis d'infirmiers, de soeurs, d'étudiants.
Ce jour-là, c'était le médecin- chef qui faisait une tournée à notre étage. Petit, vieux, chauve et disert, ce médecin-chef devait être une sommité médicale de première grandeur, car tous les autres lui témoignaient un respect très accentué. Tous étaient à l'écoute de ses moindres paroles qu'ils buvaient, on aurait dit, avec une certaine ferveur religieuse.
Il ne faisait pas la visite médicale proprement dite, mais une inspection qui le conduisait, chaque jour, tantôt dans un étage, tantôt dans un autre, dans une aile ou l'autre de l'immense établissement.
Il s'adressait directement aux blessés ou s'arrêtait devant un cas qu'on lui signalait. Ce fut ainsi qu'il fit halte devant mon lit immobilisant tout autour la pléiade de ses suivants.
- Ah ! c'est ce sergent qu'on me signale comme venant de l'Argonne !
- Oui, Monsieur le médecin-chef.
- Bonjour, mon ami. De quelle partie de l'Argonne venez-vous ?
- Du Bois de la Gruerie, Monsieur le médecin-chef.
- Connaissez-vous l'Harazée, ou La Harazée, enfin cet endroit dont les journaux parlent à chaque page, et sous des orthographes différentes ?
- Mais oui, Monsieur le médecin-chef; c'est l'endroit où se font les dislocations quand nous prenons les tranchées, et les concentrations lorsque nous les quittons pour rejoindre nos cantonnements.
- Ah ! Très bien. Voilà un homme qui connaît l'endroit. Comment s'appelle véritablement ce lieu ?
- La Harazée (je prononçai comme on le prononce dans le pays ; avec l'H aspirée).
- Ah ! La Harazée, en deux mots : La...Harazée (en faisant sonne le H). Très bien. Très bien, mon ami. La Harazée. Voyez-vous, Messieurs, rien ne vaut l'expérience personnelle. Ainsi, voici un jeune homme qui est passé là, qui y a vécu... La Harazée. Et pour quelle blessure êtes-vous venu ici, mon ami ?
- Les pieds gelés, Monsieur le médecin-chef.
- Les pieds gelés à La Harazée ! C'est fantastique. Et où se situe exactement cet endroit ? Qu'est-ce, en somme ?
- C'est surtout un pavillon pour sociétés de chasse, avec une série de dépendances, et c'est situé dans la vallée encaissée de la petite rivière La Vienne, en dessous de la côte qui descend de La Placardelle, sur la route de Saint-Menehould à Varennes.
- Mais ce sont des noms d'épopée que vous nous citez-là ! Varennes, Louis XVI ! Sainte-Menehould ! La Harazée ! La Gruerie ! Quels hommes, quels souvenirs ! Ainsi vous vous battez constamment dans cette célèbre forêt, sur les emplacements mêmes que l'infortuné roi a parcourus ?
- Oui, Monsieur le médecin-chef. Nos tranchées sont à cheval sur cette route, même, au-dessus du Four de Paris.
- Et vous restez longtemps dans ces tranchées ?
- Mon Bataillon y est resté 17 jours consécutifs, avec combats constants, dans l'eau glacée, la boue glacée, la neige et la pluie. C'est pourquoi nous avons tant de pieds gelés.
- Voyez, Messieurs, c'est fantastique ! Qu'on ne me parle plus des héros livresques de l'antiquité qui se battaient une simple journée. 17 jours, Messieurs, 17 fois vingt-quatre heures à vivre dans ces conditions effrayantes. Et ils vivent ! Et ils tiennent ! Et ils ne sont pas abattus. Ah ! Messieurs, La Harazée, ... La Harazée. Et il a les pieds gelés....Merci, mon ami, fit-il en partant à grands pas vers la sortie, sans plus inspecter quoi que ce soit.
Je l'entendis qui grommelait pour lui tout seul, mais à haute voix :
- La Harazée...Varennes...Louis XVI...les pieds gelés...Ah ! Il sortit de la salle, puis rentra aussitôt, et, sur le pas de la porte, lança dans ma direction :
- Merci, mon ami !
Et cette fois, il disparut.

Source : Georges HUBIN - Ma vie - Mes campagnes - Ma guerre  -  Tome V, avec l'autorisation de Michel EL BAZE

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