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Le blog du 147e RI
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25 octobre 2008

Georges HUBIN : novembre 1914 - retour de convalescence

Après sa blessure, une convalescence et un passage par le dépôt à St Nazaire, G. HUBIN retrouve le 147è RI, qui est alors en Argonne dans le Bois de la Gruerie.

Le visage de la guerre avait changé. Nous n'avions pas eu les moyens suffisants pour poursuivre les Allemands, lors de leur retraite. Nous n'avions pas d'artillerie lourde ; nous n'avions plus de munitions pour nos 75, ni pour notre infanterie ; notre artillerie courante était très réduite après la bataille de la Marne, et notre cavalerie avait fondu, entièrement.
Les armées ennemies s'étaient terrées fortement sur une ligne de hauteurs allant de la mer du Nord à Belfort et s'étaient incrustées dans le sol. Force nous avait été de nous terrer aussi pour refaire nos approvisionnements, et la guerre s'était stabilisée, devenant définitivement une guerre de tranchées. Notre régiment - le 147e - était resté à la place qu'il occupait lors du refoulement de l'ennemi, juste en face de la forêt d'Argonne, le quartier général de la Division était Sainte-Menehould. Au cours de leur retraite, les Allemands avaient traversé toute cette forêt pour s'arrêter à Varennes, et ce fut une grosse faute qu'ils n'auraient pas eu besoin de commettre, car, à ce moment-là, personne ne les serrait de trop près. Mais ils crurent bien faire en se mettant en sécurité derrière un massif forestier difficile à pénétrer. Et en effet, il y étaient à l'abri, car nous-mêmes ne pouvions le franchir sans une grande préparation et avec une grande prudence. Seulement, il en fut de même pour eux lorsque, remis de leur chaude alerte, ils voulurent recommencer leur manoeuvre d'encerclement pour prendre Verdun par l'Ouest. Le massif d'Argonne les arrêtait et les arrêta effectivement pendant toute la durée de la guerre. Jamais leurs éléments les plus avancés ne purent apercevoir la clairière, à la sortie sud de la forêt. Jamais ils ne purent entamer notre front sur ce secteur important où les tranchées adverses se trouvaient, à beaucoup d'endroits, à quelques mètres les unes des autres. Sachant que, lors de mon prochain départ, je serais dirigé sur cette partie du front, je me fis inscrire comme partant volontaire et attendis la formation d'une colonne de renfort. J'écrivis une longue lettre à Manette, lui expliquant ma conduite. Si je m'exposais ainsi bénévolement, ce n'était pas par envolée de patriotisme mystique ou par exaltation outrée quelconque. Je ne mêlais à cet acte aucune sorte de patriotisme faraud. J'y allais parce que, de ma nature, je ne pouvais pas faire autrement. tout mon être m'y poussait. C'était là seulement qu'on vivait, à mon sens. A l'arrière, je me rongeais à ne faire que du pivotage idiot. J'étais mobilisé, je devais donc rester au Corps jusqu'à ma démobilisation légale, régulière, et ne pouvais me voir qu'au front, au combat, ou en raccommodage, comme je venais de le faire. J'avais confiance en l'avenir. Je ne me voyais pas du tout tué. Blessé ? Peut-être ; c'était à prévoir. Mais, tué, non ; je ne voyais pas ça. J'avais toutefois fait le nécessaire auprès de ma compagnie d'assurances pour que le bénéfice de ma police sur la vie revienne à ma femme et à ma fille, même en cas de mort pour cause de guerre. C'était plus rassurant pour moi et n'avait aucune influence sur le sort qui pouvait m'être réservé là-bas. J'envoyai le tout chez ma belle-soeur Lili dont la trace s'était retrouvée. Elle était à ce moment à Besançon, son mari étant détaché comme instructeur au camp militaire du Val d'Ahon, à une vingtaine de kilomètres de cette ville. Je partis, un beau matin, avec une troupe de trois cents hommes environ, en route de nouveau pour l'aventure. Nous voyagions, cette fois, dans des wagons de voyageurs de troisième classe ; mais ces pauvres voitures, qui ne servaient qu'au transport des militaires étaient dans un état lamentable : la plupart des vitres manquaient ; les tirants de cuir qui servent à lever les vitres des portières étaient enlevés, car il était si tentant de s'en faire des ceintures. Mais enfin, nous n'avions plus l'air de bestiaux et la marche de ce train était parfaitement réglée : il n'allait plus à l'aventure comme celui qui nous avait amenés de Vouziers. On commençait à savoir faire la guerre à l'arrière. Comment la faisait-on à l'avant ? J'allais bientôt le savoir. Après plusieurs bifurcations, notamment à Troyes, à Revigny, nous descendîmes du train à Sainte-Menehould où on nous conduisit, sans lumière, dans le manège d'un régiment de cavalerie du temps de paix. Là, sans autre cérémonie, on nous enferme : débrouillez-vous ! Où est-on ? Comment va-t-on s'installer ? Par-ci, par-là, des bougies s'allument ; des lampes électriques de poches dont on commençait à se servir percent l'obscurité, scrutant dans toutes les directions. Partout des gens, la plupart couchés sur de la paille réduite en miette à force d'avoir servi. N'importe, on finit pas se coucher et à s'endormir. Faut bien. Le lendemain, repos dans ce manège, avec défense d'en sortir. On nous y apporte des repas froids consistant en saucisson, sardines, chocolat, boîtes de singe (corned-beef) pain, vin, tafia, café chaud pour terminer. Pas trop mal.
Départ, à pied, vers une heures de l'après-midi, direction : l'Argonne en général, le bois de la Gruerie en particulier. Vingt kilomètres à faire avant d'arriver au cantonnement préalable de Saint-Clément. Cette marche avait été réglée pour que nous y arrivions pendant l'obscurité. En Novembre, la nuit arrive de bonne heure, surtout dans ces contrées au ciel si souvent sombre. Ce fut donc en pleine nuit que nous atteignîmes ce village où on nous partagea en plusieurs grangées et où nous reçûmes un repas chaud. On était à l'arrière immédiat du front de notre régiment.

Source : Georges HUBIN - Ma vie - Mes campagnes - Ma guerre  -  Tome V, avec l'autorisation de Michel EL BAZE

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