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Le blog du 147e RI
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21 septembre 2008

Georges HUBIN : 22 août 1914 - 2è Compagnie

Nous avançâmes sous les rafales d'obus fusants qui nous déversaient une pluie de shrapnells sur la tête et cela faisait comme un bruit de grêle en tombant sur les marmites et les gamelles de fer battu. Nous prîmes position près d'un bosquet d'où nous devions déboucher un peu plus tard.
A ce moment arriva le 9e Chasseurs à pied, prenant la relève du 18e fatigué et démuni de munitions. Ce fut là que je revis Georges BRAYE pour la dernière fois. Nous causions de chez nous depuis à peine cinq minutes lorsque son bataillon mit sac au dos pour entrer dans la fournaise. Je n'ai plus revu Georges BRAYE : il fut tué quelques instants après m'avoir quitté.

Georges_BRAYE

La bataille avait l'air de nous être favorable, car on nous fit avancer sur le terrain couvert de cadavres allemands. Nous ne voyions personne de chez nous par terre et en conclûmes que, seule, l'artillerie était responsable de la mort de ces ennemis. Puis, que nous étions maintenant sur un terrain qu'ils avaient occupé, c'est qu'ils reculaient, donc que nous étions victorieux, à cet endroit-là, du moins.
En effet, notre Division entière avait gain de cause. Nous n'avions pas atteint Tintigny, mais nous avions dépassé Bellefontaine en enfonçant la Division allemande qui nous était opposée. Nous restâmes sur le terrain conquis, mais avec défense de bivouaquer ou de faire le moindre feu.
Et manger ? Il n'y a rien de tel qu'un combat de douze heures pour aiguiser l'appétit. Or, la veille, les hommes avaient refusé de prendre du pain supplémentaire, sous prétexte que c'était trop lourd à porter. Le contenu des musettes avait été englouti au cours de la journée, et il ne pouvait être question, en cette fin de journée, de toucher des vivres quelconques. C'est alors que BOUCHER et moi profitâmes de notre prévoyance, car, l'un et l'autre, nous avions, sur notre sac, une boule de pain supplémentaire, que nous y avions attachée avec de petites ficelles. Nous n'avions pas hésité à nous en charger, malgré le supplément de poids, sachant bien que l'occasion d'être payé de nos peines se présenterait vite. Nous avions de plus dans notre gamelle, un beau morceau de viande crue, de la veille aussi, que nous avions mis à mariner avec du gros sel et des oignons coupés en rondelles. Cela donna un repas froid et cru, mais combien substantiel et réconfortant ! Ces jeunes gens, qui nous regardaient alors avec envie, ça croit que tout va venir les trouver, comme ça, sur les routes ou sur les champs de bataille ! Oui, attendez mes petits agneaux, vous allez voir ça pour rien: attendez quelques jours, et vous m'en direz des nouvelles !
En plus des provisions, nous avions, chacun, un beau sac à distribution, tout neuf, bien grand, de beau grain serré, roulé sur notre sac, en dessous de notre couvre pied. Ce soir-là, le sol était sec, mais les soirs où il nous faudra nous coucher sur une terre trempée de pluie, nous aurons au moins un préservatif sous les reins; et cela valait la peine de porter ce petit chargement supplémentaire.
L'adjudant nous regardait manger avec envie, et nous lui avons généreusement offert de partager notre casse-croûte, mais il ne put mordre dans la viande crue, il se contenta d'un maigre morceau de pain qu'il mangea d'un air dégoûté. Et pourtant, il avait faim, comme tout le monde. Mais il était encore trop près de sa si jolie femme et de ses élégances. Il n'avait pas encore eu le temps d'entrer franchement dans le rôle du soldat en campagne.
Nous étions arrêtés là, dans les champs, en pleine nuit.
Il faisait sombre. On ne voyait rien devant soi. La consigne était de demeurer équipés, les sacs non défaits et les faisceaux bien dégagés. Cela voulait dire qu'il y avait des chances pour qu'on aille ailleurs : du côté de l'intérieur de la Belgique, vers l'Est, ou vers le Sud-Est où d'immenses lueurs montaient des villages en flammes. On pouvait distinguer une dizaine de ces foyers rouges qui faisaient autant de taches sanglantes sur le sombre du ciel. Et nous ne pouvions nous retenir de frissonner d'angoisse, de douleur, de pitié, de rage aussi.
Et chez nous, pensai-je, que se passe-t-il ? La bataille a dû faire rage par là aussi. Comment Longwy se comporte-t-il ? Que font les gens de la ville basse ? Que font mes gens à moi, dans la maison familiale ? Autant de questions auxquelles il était impossible de répondre et qui faisaient courir des frissons de crainte dans mes moelles ! Allait-il se passer chez eux les mêmes terribles choses que celles dont nous étions, cette nuit même, les témoins impuissants ? Quelle terrible chose que cette guerre contre les populations inoffensives, les femmes qu'on viole, les enfants qu'on piétine, les vieillards qu'on emmène en otages, les maisons qu'on pille et qu'on brûle ! La guerre entre guerriers, passe encore. C'est du sport, violent, meurtrier, mais entre hommes qui peuvent se défendre !
Cette attente, en pleine nuit, dans une complète incertitude, avec, au loin, le spectacle croissant des incendies monstrueux fut pénible. On était harassé de fatigue ; on avait sommeil, moi du moins ; mais en guerre, rien de cela ne compte. Ce qui règne, c'est la consigne, l'obéissance.

Source : Georges HUBIN - Ma vie - Mes campagnes - Ma guerre  -  Tome V, avec l'autorisation de Michel EL BAZE

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