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Le blog du 147e RI
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17 septembre 2008

Georges HUBIN - Arrivée au 147è rI

Georges HUBIN (1875-1965) fut sous-officier au 147è RI. Il s'y est engagé en août 1914, après avoir été Garde des Voies de Communication (GVC).
Ses mémoires couvrent la période 1914-1917 pour le 147è RI. Mais cet homme a eu une vie très riche avant : la Légion , Madagascar, l'Afrique, l'Indochine...

Voici comment il raconte son arrivée au 147è RI à la mi-août 1914 :

[…] J'avais atteint une route qui me conduisait à ce village [Othes] dont j'apercevais au loin le clocher, et j'y cheminais bien tranquillement, vers cinq heures, en plein soleil, quand, un peu avant d'arriver à la hauteur d'un moulin isolé, je fus arrêté par une barricade de voitures, chariots, herses, avec des fantassins derrière, baïonnette au canon.

- Halte-là ! Halte-là ! Qui vive ?

- France, répondis-je en m'arrêtant net

Un sergent armé jusqu'aux dents sortit du poste, c'est-à-dire de la grange du moulin et, au travers de l'amas de charrettes, me demanda ce que je voulais;

- Parler au chef de poste, dis-je.

- Mon Lieutenant, cria le sergent, il y a là un type qui veut vous parler !

Un Lieutenant, en effet, sortit à son tour, jugulaire au menton, sabre au côté, revolver, jumelles, porte-cartes en bandoulière, : une mâle tenue de militaire vigilant et guerrier.

- Qui êtes-vous ? Que voulez-vous ? me demanda l'officier d'un air pas du tout engageant.

- Mon Lieutenant, dis-je, je suis sergent G.V.C. au poste de Velosnes, tout près d'ici. Je viens d'aller avec les douaniers vers le combat qui a eu lieu près d'ici. Il s'est terminé avant notre arrivée. Autrement, je n'ai rien à faire dans mon service. Alors, j'ai l'intention de prendre du service actif dans le premier régiment d'infanterie que je trouverai sur mon chemin. Je vois que vous êtes le 147e de Sedan. Si vous voulez de moi, mon Lieutenant, je suis votre homme.

- Qui me prouve que vous dites vrai ? Qui me prouve, au contraire, que vous n'êtes pas un espion audacieux ?

- Moi ? répondis-je en rougissant de consternation. Moi ? Un espion ? Quand je viens vous offrir mes services actifs, quand, fort de mes expériences coloniales, je viens me mettre à votre disposition ?

- Tout ce que vous racontez est très joli ! Mais montrez-moi vos papiers, d'abord !

- Voilà, mon Lieutenant, dis-je en tendant mon livret militaire.

Mais l'officier ne se contenta pas de le feuilleter d'un air méfiant: il m'interrogea en me faisant répondre à toutes les demandes qu'il puisait sur la page d'état civil.

- Votre nom ? prénoms ? date de naissance ? lieu de naissance ? nom de votre père ? de votre mère ? etc...etc... jusqu'aux moindres détails. A me voir ainsi suspecter, je bouillais de mortification. Un officier français me traitait ainsi, cinquante soldats autour de lui, retranché derrière une barrière formidable, alors que j'étais seul, que je présentais tous les signes incontestables d'un militaire français !

Il consentit tout de même à me dire: C'est bien ! Mais moi, je ne peux prendre aucune décision. Passez de ce côté-ci et suivez la route par là. Vous trouverez le capitaine avec qui vous vous expliquerez. Partez !

Je pris donc la route, l'oreille basse, le coeur un peu serré et l'enthousiasme refroidi ! Non pas pour aller à la guerre, mais pour me rendre chez des gens qui me recevaient de si brutale et soupçonneuse façon. Ah ! l'espionnite ! Ce lieutenant en était atteint si profondément qu'il me surveilla et me fit surveiller secrètement pendant plus de 15 jours, jusqu'à la bataille de Yonck où, tout de même, il se convainquit, par lui-même, que je n'avais rien d'un espion !

J'arrivai au village de Othe que je trouvai rempli de soldats.

Tout le 147e de ligne y était cantonné, arrivé depuis deux heures seulement, envoyé certainement par le haut commandement en flanc garde de l'armée qui avait été attaquée sur le plateau de Marville. En arrivant au poste d'entrée du village, fourni comme celui du moulin par la 2ème Compagnie, je demandai où je pourrais trouver le Capitaine commandant cette Compagnie. Puisque c'était celle-là qui se trouvait sur mon chemin, c'était à celle-là que je devais proposer mes services.

Je trouvai le capitaine dans la maison bourgeoise où il était cantonné et lui exposai ma requête, lui donnant tous renseignements préliminaires en même temps que mon livret militaire. De taille moyenne, pas arrogant du tout, c'était un bien brave homme de capitaine d’active. Il m'examina rapidement, me demanda où j'habitais avant la mobilisation. Puis, au cours de la conversation, nous découvrîmes qu'il connaissait bien mon beau- frère, le Capitaine SOHET, comme lui originaire de la région de Givet. Puis il conclut:

- Je ne demande pas mieux que de vous avoir avec moi. Un vieux colonial comme vous me sera toujours précieux. je vous mettrai à la troisième section. L'adjudant est un très brave garçon, mais pour la guerre, il est un peu faible; alors, vous le doublerez. Seulement, ajouta le capitaine, il faut que j'en réfère au chef du bataillon. En attendant, vous irez trouver l'adjudant Bernard de ma part et vous vous arrangerez avec lui.

Tout en causant, nous étions sortis de la maison et nous étions arrivés à hauteur d'un vaste abreuvoir alimenté par un énorme jet d'eau claire sortant d'une borne fontaine. Là, des Hussards faisaient boire leurs chevaux. Lorsque nous passions près d'un groupe d'officiers à cheval, l'un d'eux nous interpella:

- Tiens, mais c'est le gaillard qui, ce matin, était à Virton à la chasse aux Uhlans ! Si tu l'as recruté, Dazy, dit-il en s'adressant au capitaine, garde-le pour toi; il vaut ce que promettent ses médailles. Bonne chance !

Sur ce, je quittai le capitaine et me rendis auprès de l'adjudant Bernard. C'était un homme jeune encore, la trentaine tout au plus, petit, blond, mince, joli garçon, et, lorsque je lui eus raconté mon histoire et fait part de mon affectation à sa section, sans toutefois lui transmettre l'opinion du capitaine à son égard, il me reçut assez bien. Je rôdai enduite dans le cantonnement de cette section, qui comprenait deux granges. Et, au milieu de toutes ces figures inconnues qui me dévisageaient avec curiosité, je me sentis tout dépaysé. Aucun de mes collègues sous-officiers ne vint à moi pour faire connaissance, sauf Boucher, un grand bel homme, fort, blond, qui, cordialement, vint se présenter:

- Sergent Boucher, réserviste. Boulanger à Marjut. Marié, deux enfants. Mobilisé depuis le 2 Août.

Je lui répondis du tac au tac, et de ce moment, nous devînmes excellents amis. Nous ne nous quittâmes plus d'une semelle jusqu'au jour, à Yonck, où il fut tué et moi blessé. Ce fut alors une séparation aussi définitive que brutale.

Le lendemain, le capitaine m'annonça que le Chef de Bataillon, le Commandant Brion, m'acceptait, lui aussi, sous réserve de confirmation par le Colonel à qui il allait le demander. Il me présenta aux officiers de la Compagnie: le lieutenant Ducroc, celui qui m'avait si mal reçu au moulin, et le sous-lieutenant de Verneuil, commandant la 4ème section, qui m'accueillit fort aimablement, tandis que Ducroc restait renfrogné. Il n'avait pas confiance en dépit de ce qu'il avait pu apprendre de rassurant sur mon compte.

Le jour suivant vint l'acceptation définitive du Colonel qui me fit incorporé régulièrement au Régiment avec la mention suivante:

Hubin Auguste, sergent R.A.T. (Réserve armée territoriale) égaré à la suite d'un combat. Recueilli par le 147e R.I. le 13 Août 1914, y incorporé et entrant en solde à la date du dit jour. Sera affecté à la 2e Compagnie.

Voilà.
De cette façon, sans tambours ni trompette, je faisais partie de l'armée active, bien qu'étant de la classe 1892, alors que les jeunes gens du régiment étaient, pour la plupart, de la classe 1912. Cela se prononçait de la même façon: classe 12 pour les uns et les autres, mais avec vingt ans de différence. A part ça, c'était la même chose. [...]

Source : Georges HUBIN - Ma vie - Mes campagnes - Ma guerre  -  Tome V, avec l'autorisation de Michel EL BAZE

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